Understanding War: History and Theory of Combat, est une
tentative très impressionnante de Trevor Dupuy de modéliser et donc aussi
d’anticiper le comportement des unités de combat modernes. Dans un des chapitres,
l’auteur s’efforce de mesurer l’efficacité de vingt-quatre divisions de trois
nationalités différentes engagées dans la campagne d’Italie de 1943 à 1945.
Selon l’échelle
de Valeur d’efficacité au combat définie par Dupuy, les divisions allemandes
s’échelonnent de 0,82 pour la plus mauvaise à 1,49 pour la meilleure (la
division Hermann Goering) ce qui est assez représentatif, à la fois de la bonne
valeur moyenne des unités allemandes, supérieure à celle des Américains ou des
Britanniques mais aussi à leur disparité. Les cinq divisions britanniques se
partagent, elles, entre les unités novices, plutôt en bas de l’échelle, et celles
qui ont déjà eu l’expérience du combat, notamment en Afrique du Nord, qui se
situent dans la moyenne générale.
Le phénomène le plus intéressant
concerne les divisons américaines. On constate d’abord chez elles une grande
stabilité de valeur puisque six divisions sur sept s’échelonnent de 0,72 à 0,86. Cela
n’est pas étonnant de prime abord car les divisions américaines sont toutes
formées sur le même modèle, avec la même (faible) expérience, le même
recrutement à base de gardes nationaux puis de conscrits, les mêmes structures et les mêmes
équipements, et toutes soutenues de façon à conserver sensiblement
le même potentiel. Le plus surprenant est en fait le classement de la septième
division, la 88e division d’infanterie (DI), qui bien qu'apparemment identique aux autres obtient une Valeur d’efficacité de 1,14, ce
qui la place très loin devant les autres unités alliées étudiées et même devant
des unités allemandes réputées comme la division Panzer Lehr. Dans les
documents saisis sur la Xe armée allemande, la 88e DI y
est classée comme troupe d’élite. Du côté américain, pour les 344 jours de
combat (et 15 173 pertes) en Italie, les hommes de la 88e DI
ont reçu 3 Congressional Medals of Honor, 40 Distinguished Service Crosses et plus de 4 200 Silver et
Bronze stars, soit un taux très supérieur à la moyenne.
Pour Dupuy, tout autre paramètre équivalent par
ailleurs,ce niveau d'excellence ne peut venir que de la qualité du commandement et en
premier lieu de son chef : le général John Emmit Sloan, officier atypique
issu de l’Académie navale et obligé d’obtenir une dérogation d’âge (il a alors
55 ans) pour pouvoir commander une division en juillet 1942. Celui qui
s’était fait remarqué comme un excellent instructeur au cours d’état-major de
l’US Army à Fort Leavenworth dans les années 1930 est obsédé par la qualité de
la formation et de l’entraînement des hommes, qu’il pousse très loin en
s’inspirant de ce qui se fait de mieux à l’époque, notamment chez les
Allemands. Surtout, il parvient par son exemple et son obstination à faire partager cette obsession par le reste de la chaîne
de commandement. Sloan obtient de la division un grand professionnalisme et une rigueur peu commune alors dans l’US Army. La discipline est stricte et
les cadres incompétents, en particulier ceux qui à rechignent
à montrer l’exemple, remplacés très vite. En compensation, un grand souci est
porté sur le bien-être et le repos des hommes dès lors qu’ils ne sont ni au
combat, ni en exercice et un accent particulier est porté sur l’information dans les missions tactiques, à tous
les échelons. La 88e division obtient
les meilleurs résultats parmi les divisions formées de l’été 1942 à l’été 1943
et elle est engagée en Italie en février 1944. Le 4 juin, elle est la première
unité alliée à pénétrer dans Rome après une série de combats remarquables. Il s’ensuit alors un cercle vertueux où le
prestige grandissant de l’unité entretient un esprit de corps particulier qui
permet à son tour de maintenir l’exigence et le professionnalisme tout au long de la
campagne. En Italie, les unités de la 88e division sont les unités américaines qui s’entraînent le plus, dès qu’elles le peuvent
et ce jusqu’au plus petit niveau.
On a donc ici, par comparaison, un
exemple parfait de l’influence que peut avoir un excellent chef sur
une organisation, ce qui n’est pas aussi évident que cela à démontrer scientifiquement, mais
aussi de la nécessité qu’il soit vraiment très bon pour obtenir des résultats
sensibles. Personne ne se souvient des autres commandants des divisions américaines étudiées, ils auraient pu être interchangeables.
Trevor N Dupuy, Understanding War : History and Theory of Combat, Nova Publications, 1987
John Sloan Brown, Draftee Division: The 88th Infantry Division in World War , http://uknowledge.uky.edu/upk_military_history/11
Je sens que ce blog va rejoindre mes favoris si vous maintenez la fréquence de parution et la qualité !
RépondreSupprimerMerci.
Déjà en favori !
SupprimerTrès bon article synthétique. Les références sont aussi intéressantes et permettent de compléter et d'aller plus loin dans la réflexion.
A poursuivre !
Excellent article
RépondreSupprimerMerci