jeudi 19 février 2015

Gangs

Publié dans La Voie de l'épée le 04/08/2012

Les gangsters ont en commun avec les soldats qu’ils prennent des risques physiques et qu’ils sont parfois amenés à tuer pour accomplir leur mission et en commun avec les entreprises que leurs missions ont pour but de gagner de l’argent. En cela et hors de toute considération morale, les films de gangsters sont autant de descriptions du fonctionnement d’organisations humaines.

On peut distinguer ainsi l’organisation du type Le Parrain 2, avec une structure pyramidale centralisée dirigée par Michael Corleone et fonctionnant comme un conglomérat d’activités diversifiées, parfois légales. Cette centralisation a ses vertus comme la possibilité de concentrer des moyens importants sur des points jugés décisifs par le chef. Elle a aussi ses défauts. L’efficacité de l’ensemble dépend des qualités propres du chef mais aussi de celle des informations qu’il reçoit. Or, les informations viennent de lieutenants qui ont leurs objectifs propres, dont le premier est la survie, qui incite à ne pas déplaire au chef en lui annonçant de mauvaises nouvelles, et le second est de faire plus de bénéfices, qui incite poursuivre ses propres affaires à l’insu du chef voire en même en contradiction avec lui. Ce système fonctionne bien lorsque le chef est bon, qu’il est entouré de bons conseillers et que les lieutenants sont loyaux et honnêtes ( !) dans leurs comptes rendus. Même ainsi l’ensemble reste lourd et lent mais il est puissant.

A l’opposé de ce modèle on trouve la petite équipe très professionnelle de Heat dirigée par Neil Mc Cauley (De Niro). Le gang est une entreprise très dynamique et très réactive avec les avantages des groupes cohérents : confiance, connaissance mutuelle, spécialisation. Par amitié, par intérêt (les rémunérations sont au mérite) et parce que le contrôle du chef est direct, chacun est incité à se donner à fond. En revanche, les moyens, et donc les ambitions, restent limités et la moindre erreur peut signifier la fin du groupe.

Un troisième modèle est proposé dans Réservoir Dogs, où un groupe d’individus se réunit pour un travail ponctuel avant de se disperser. Comme pour la réalisation d’un film, on y recrute des gens avec des compétences spécifiques afin de coller au mieux aux besoins de la mission. Le financement se trouve limité au temps de la mission mais le problème est que la création et la gestion de ce type de structure induisent des coûts de transaction. Il faut du temps pour réunir le groupe et mettre en place les procédures qui permettront d’avoir confiance les uns dans les autres.

Les grandes organisations et notamment les armées cherchent à combiner les avantages de ces trois structures. Elles sont toutes hiérarchisées et pyramidales du fait de leur taille mais elles fonctionnent à partir d’unités de combat soudées et font appel à des compétences extérieures grâce notamment aux réservistes. Bien entendu tout cela fonctionne plus ou moins bien car ces approches sont en partie contradictoires et chaque organisation à tendance à en privilégier une.

Parmi les armées privilégiant l’« approche Parrain », l’armée soviétique de la Seconde Guerre mondiale est un exemple de structure centralisée fonctionnant correctement, à partir de 1942 au moins. Le haut-commandement, la Stavka, reçoit de nombreux comptes rendus de la base, fait évoluer d’un bloc structures et règlements et planifie de plus en plus magistralement de grandes opérations. C’est lent, parfois coûteux, mais c’est inexorable. L’armée japonaise de la même époque est un exemple inverse. Les commandants de théâtre ont tellement honte des échecs lorsqu’ils surviennent qu’ils oublient souvent d’en faire part ou transforment considérablement la réalité des faits. L’état-major de Tokyo est de plus en plus coupé des réalités au fur et à mesure de l’avancée de la guerre et l’armée japonaise se rigidifie.

L’armée britannique est plutôt de l’approche Heat dans la mesure où elle met l’accent sur la cohésion de ses corps de troupe. Ceux-ci sont effectivement en général très solides mais leur cohésion abouti aussi à des rivalités et des cloisonnements néfastes à l’efficacité globale. La souplesse est obtenue lorsque certains de ces groupes deviennent des laboratoires tactiques innovants comme le Royal Tank Corps, le Parachute regiment, les Commandos, les Chindits ou le  Special Air Service. Toute la difficulté réside alors dans la possibilité de création de ces groupes nouveaux, ce qui impose de fait des ressources nouvelles et des volontés fortes internes (JFC Fuller, Orde Wingate, David Stirling) ou externes (Churchill).

Américains de la Great generation ou Israéliens de l’époque des pionniers (disons jusqu’à la guerre du Kippour) sont plutôt sur le modèle Reservoir Dogs. La majeure partie des combattants ne sont pas des professionnels mais des amateurs motivés qui se réunissent pour faire face à des menaces particulières. Cela ne va sans rivalités et conflits de personnalités ni tâtonnements et erreurs mais l’association de compétences multiples permet souvent de trouver des solutions originales et efficaces.

L'exemple des films de gangsters est tiré de La sagesse des foules de James Surowiecki.

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