Publié sur la Voie de l'épée le 22/12/2011
Au
début des années 1960, le directeur du grand magasin newyorkais Macy’s confiait son désappointement devant le
succès inattendu de la branche électroménager qu’il venait d’ouvrir. Les
bénéfices de l’électroménager tendaient à dépasser ceux de la branche
traditionnelle et prestigieuse de l’habillement et cela n’était pas
« normal ». Il concluait que la seule chose à faire était de diminuer
les ventes de l’électroménager « pour
les remettre à la place qui est la leur ». Il témoignait ainsi du
début de sclérose du modèle taylorien-fordiste de management américain fondé
sur une grande centralisation, une structure pyramidale et une intégration
verticale des fonctions. Ce système qui avait parfaitement fonctionné pour la
production de masse s’avérait de moins en moins adapté aux évolutions de la
société et, celà, personne dans les grandes entreprises américaines ne le
voyait.
A tous
les étages le système se rigidifiait et perdait de son efficacité. Les ouvriers
et les employés, satisfaits dans leurs besoins de base et plus éduqués que
leurs prédécesseurs aspiraient à autre chose que le « travail en
miettes » de la chaîne. Cela se traduisit par une insatisfaction générale,
un absentéisme croissant et de nombreux défauts de fabrication. Au milieu de la
pyramide, les cadres avaient surtout pour fonction d’analyser et de faire
monter l’information. Jugés sur cette information plus que sur des actes, ils
étaient bien évidemment incités à ne montrer à leurs chefs que ce que ceux-ci
voulaient voir. Une étude de 1962 établissait ainsi le lien direct entre le
degré d’ambition et la dissimulation des problèmes aux supérieurs. Le problème
était encore exacerbé par le travail par réunions, qui fonctionnait
surtout comme une machine à produire des solutions consensuelles, et l’énorme
étagement hiérarchique. Au sommet, les quelques dirigeants WASPS, tous issus du même
milieu et des mêmes écoles, étaient confortés dans leurs décisions par les
rapports édulcorés de leurs subordonnés et l’habitude du succès.
Le
résultat fut un processus de production de plus en plus lent (15 réunions dont
une avec le PDG pour décider du dessin d’un phare chez General Motors), des
choix désastreux, comme l’Edsel de
Ford, une diminution constante du nombre d’innovations puis un tassement de la
productivité. Lorsque le problème devint enfin évident au début des années
1970, la réaction fut une fuite en avant bureaucratique avec un surcroît de
centralisation, que l’on croyait facilitée par l’informatique, un accroissement
de la réglementation afin, pensait-on, d’avoir un contrôle plus fin sur
l’emploi de chaque dollar, une rationalisation par regroupement des fonctions,
le remplacement des hommes par les machines et l’organisation matricielle. Tout
cela ne fit qu’ajouter des fils autour de Gulliver. Dans une entreprise décrite
dans Le prix de l’excellence,
une idée devait désormais suivre 223 voies pour être acceptée.
Pendant
ce temps, les sociétés japonaises, à l’imitation du système de Taiichi Ohno
chez Toyota, prenaient le problème à l’envers, en s’intéressant d’abord aux
clients pour le satisfaire avec des produits adaptés et de qualité. Pour y
parvenir, on donna plus d’autonomie et de responsabilités aux simples ouvriers
et employés, tout en leur apportant un environnement social très sécurisant.
Leurs avis et idées furent même sollicitées (plusieurs millions de propositions
furent ainsi produites dans les années 1980 chez Toyota). On mit en place
des méthodes très simples, comme le Kanban,
pour, par une simple circulation d’étiquettes, ne produire que ce qui était
nécessaire et éviter ainsi les stocks. On simplifia enfin les structures (5
échelons hiérarchiques chez Toyota contre 15 chez Ford). Les Japonais
parvinrent ainsi à créer en moyenne deux fois plus vite que les Américains des
produits de meilleure qualité et mieux adaptés aux besoins.
Les
grandes entreprises américaines furent au bord du gouffre à la fin des années
1970 et n’eurent plus d’autre choix que de se transformer en profondeur et de
miser à leur tour sur l’humain plutôt que sur la bureaucratie. Un nouveau
modèle apparut dans la Silicon Valley, avant que toute cette embellie de
management ne soit à son tour annulée par la dérégulation de la finance.
Peter Drucker, Les
entrepreneurs, Hachette, 1985.
Thomas Peters et Robert Waterman, Le Prix de l'excellence, InterEditions, 1983.
Et les sociétés japonaises sont depuis les années 90 à leurs tours touchés par la sclérose qui touchait leurs concurrents.
RépondreSupprimer